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Hier, le FSB [1] annonçait avoir arrêté, à Moscou, un employé de l'ambassade américaine, Ryan Christopher Fogle, que le service de sécurité russe présente comme un agent de la CIA, en charge de la lutte antiterroriste dans la région du Caucase [2].

Occupant le poste de troisième secrétaire à la section politique, Fogle a été appréhendé alors qu'il tenté, a priori, de recruter des agents russes [3]. Dans la foulée, le ministère russe des affaires étrangères aurait convoqué l'ambassadeur des Etats-Unis, Michael McFaul, information que l'intéressé a aussitôt démenti, tout comme l'ambassade qui s'est juste contenté de déclarer qu'un de leur employé avait été retenu quelques heures par l'agence russe avant d'être remis aux autorités de son pays.

Cette information fait écho à l'arrestation en 2010 de dix agents "dormants" russes sur le territoire américain [4], dénoncés à l'époque par l'un de leurs compatriotes [5]. Ces hommes avaient été ensuite échangés contre quatre agents russes, condamnés pour espionnage à la solde des puissances occidentales. Une successions d'affaires qui semble nous ramener, tout droit, au temps de la guerre froide.

Un retour de la guerre froide ?


Amputé d'une partie de ses moyens après la chute de l'URSS en 1991, l'agence de renseignements russe s'est restructurée notamment sous l'impulsion d'un de ces chefs, un certain Vladimir Poutine [6]. Elle est aujourd'hui totalement dévouée au pouvoir de la présidence russe, comme au temps de l'Union Soviétique. Certains ont d'ailleurs avancé l'hypothèse que l'arrestation de Fogle pouvait être un coup monté des russes, héritage de l'ancien temps...

Désormais revenu à la tête du Kremlin, et ce pour la deuxième fois, Poutine est plus que jamais l'homme fort du pays. Après avoir mis au pas les apparatchiks du régime lors de ses deux premiers mandats [7], le président russe a affiché son ambition de voir à nouveau le défunt empire s'asseoir à la table des puissances qui comptent dans le monde. Quitte à défier – même publiquement – la puissance américaine.

Pourtant en apparence, les relations entre les deux pays semblent au beau fixe, la dernière visite du Secrétaire d'Etat américain John Kerry dans le pays ayant débouché sur une déclaration conjointe sur le dossier syrien [8]. En grattant un peu la surface du vernis, il en est autrement. Vladimir Poutine ne personne confirma, quelques jours plus tard, que son pays livrerait, comme convenu, des missiles sol-air S-300 d'une portée de 200 km au régime de Bachar el-Assad, contrariant par la même l'aide occidentale aux rebelles [9]... Preuve s'il en est que les relations entre les deux blocs se dégradent encore.

Dysfonctionnements en chaîne


Pour la diplomatie américaine et l'expérimenté John Kerry, il s'agit d'un désaveu cinglant qui n'a d'ailleurs pas été commenté par le Département d'Etat, qui est toujours empêtré dans l'affaire de Benghazi [10].

A bien y regarder de plus près, les Américains paraissent déstabilisés, ne sachant comment prendre les revirements russes sur le dossier syrien. Ils n'arrivent pas à reprendre l'avantage et tardent à fournir les fameuses preuves d'utilisation d'armes chimiques par Damas [11]. Alors que nous venons de fêter les dix ans de l'intervention en Irak  dont on sait désormais que le prétexte initial était inventé de toutes pièces  les alliés traditionnels des Etats-Unis attendront des preuves solides avant d'engager plus avant des moyens diplomatiques, logistiques voire militaires...

Mais plus que cela, il est permis de penser que Kerry était venu chercher l'appui de Moscou sur les attentats de Boston, alors même que des voix s'élèvent à Washington, pour pointer un nouveau dysfonctionnement des renseignements américains, comme cela avait déjà été le cas après le 11 septembre [12].

La bureaucratie et la superposition de plusieurs agences créent, en effet, de nombreux cafouillages. Le dernier en date est la récente décapitation par le FBI du directeur de la CIA, l'ancien général David Petraeus, pour une affaire d'adultère [13]. Ce manque de coopération entre ces services sont préjudiciables au démantèlement de réseaux terroristes dormants, opérant en petit nombre, comme c'était le cas avec les frères Tsarnaev. La coopération mise en avant par l'administration Bush après le 11 septembre semble ne pas être d'actualité [14]...

L'impossible réforme de cette gigantesque machine que sont les systèmes de renseignements pousse les Américains à coopérer avec leurs anciens ennemis, ce qui amoindrit leurs marges de manœuvre, alors même que la menace terroriste semble se faire ressentir à nouveau [15]. Ne doutons pas que cette position, affaiblie, de l'administration Obama sera exploitée par ses adversaires politiques républicains à l'heure où les premiers mouvements de la campagne de 2016 commencent...

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[1] Le FSB est le successeur du célèbre KGB, les services secrets soviétiques.
[2] Un récapitulatif de l'affaire est disponible à ce lien.
[3] Une lettre aurait été découverte dans laquelle Fogle proposerait entre 100,000 et 1 millions de dollars en échange d'une éventuelle coopération.
[4] Un agent dormant est un espion d'une puissance étrangère non actif.
[5] L'un des agents démasqués s'était confié l'année dernière à la presse (lien).
[6] Vladimir Poutine est lui-même un ancien agent du KGB.
[7] L'affaire Khodorkovski en est l'un des exemples les plus connus.
[8] Les deux pays s'étaient entendus sur une organisation rapide d'une conférence sur la Syrie (lien).
[9] Un bas de fer avec Benyamin Netanyahou et Vladimir Poutine a d'ailleurs eu lieu publiquement (lien).
[10] On rappelle qu'en septembre 2012, l'ambassadeur américain Christopher Stevens avait été tué par des insurgés. Hillary Clinton alors Secrétaire d'Etat avait été sommée de s'expliquer. Barack Obama lui-même est éclaboussé par cette affaire.
[11] Après sa visite à Moscou, John Kerry affirmait détenir des preuves d'une telle agression (lien).
[12] Selon les propres dires du représentant Michael McCaul, memebre de la commission sur la sécurité nationale (lien).
[13] David Petraeus, directeur de la CIA depuis 2011, a été impliquée dans une relation extraconjugale, qui a précipité sa démission.
[14] A l'époque, l’administration Bush avait créé le Département de la Sécurité Intérieure (Department of Homeland Security), chargé de coordonner l'action des agences fédérales (CIA, FBI,...) au sein de ce que l'on nomme l'Intelligence Community
[15] On a appris en fin de journée que des attentats visant les ambassades américaines et françaises avaient été déjoués par les forces égyptiennes.

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