"Red Army", l'histoire du hockey soviétique

J'avais écrit, l'année dernière, un article sur le "Miracle sur Glace", la fameuse rencontre de hockey entre les Soviétiques et les Américains, sur fond de Guerre Froide lors des Jeux Olympiques d'hiver de 1980 à Lake Placid. J'y reviens aujourd'hui pour vous parler d'un documentaire que j'ai vu récemment : Red Army [1]. Réalisé par l'Américain Gabe Polsky, descendant d'immigrés soviétiques, le film raconte comment dès le sortir de la guerre, le gouvernement sous l'impulsion de Staline a investi massivement dans le sport et dans le hockey en particulier [2]. Le but affiché était alors de rattraper le retard pris par rapport à l'adversaire occidental, puis de le dépasser pour démontrer la supériorité du système soviétique sur le système capitaliste.

A la fin des années 40, le hockey sur glace est quasiment inconnu en Union Soviétique. Afin de monter une équipe compétitive, les autorités soviétiques font appel à Anatoly Tarassov, l'un des experts nationaux en la matière, pour ne pas dire le seul. Au contraire du jeu nord-américain, où le physique est primordial, Tarassov introduit de nouveaux standards, privilégiant la mobilité des joueurs, la vitesse et un jeu de passes efficace et précis. Pour mettre au point ce système, Polsky nous montre comment l'entraîneur soviétique a notamment étudié la chorégraphie du célèbre ballet du Bolchoï avant de l'adapter au hockey, construisant un collectif sans égal. Cette manière de faire est révolutionnaire pour l'époque. Très vite, les résultats de ces méthodes peu orthodoxes et en totale opposition au traditionnel hockey nord-américain (la référence à l'époque) portent leurs fruits, puisqu'il remporte, à la tête de l'équipe nationale soviétique (qu'il dirige entre 1958 et 1972) trois médailles d'or olympique, une en argent et dix titres de champion du monde. A cette époque, les Rouges sont l'équipe à battre sur le plan mondial et il faudra une grande équipe canadienne pour s'imposer - de justesse - lors de la première Série du Siècle, en 1972, suite à quoi Tarassov sera écarté de la sélection soviétique par les autorités pour être remplacé par un proche du régime, Viktor Tikhonov.

Etayés par les témoignages de joueurs de l'époque tels que Vladislav "Slava" Fetisov, Vladimir Krutov ou encore le célèbre Vladislav Tretiak (considéré par beaucoup comme l'un des plus grands gardiens de l'histoire du hockey), ainsi que d'images inédites, Gabe Polsky décrit avec une relative précision le quotidien de ces hommes. Enfermés dans un camp d'entraînement, ils sont poussés jusqu'à la limite de l'épuisement physique, obligés d'effectuer plusieurs séances d'exercices par jour. Ce mode de vie, spartiate et tyrannique, les tient éloignés de leur famille pendant des semaines et les périodes de repos se font rares. Lors des déplacements à l'étranger, ils voyagent sous l'étroite surveillance du KGB qui doit éviter toute défection vers l'ouest de l'un des membres de l'équipe. La victoire était le mot d'ordre des hauts dignitaires du régime, l'équipe est soumise à une pression de tous les instants. Un seul faux pas peut remettre en cause la place d'un joueur dans l'équipe. Certains en feront l'amère expérience suite à la défaite face aux Américains en 1980 : leur carrière s'arrêtera nette, sans aucune possibilité de retour. S'ajoute au déshonneur des démêlés avec les autorités qui peuvent remettre en cause leur patriotisme et leur volonté de gagner pour le drapeau, d'autant plus que les joueurs de l'équipe nationale sont tous des militaires, membres du célèbre CSKA de Moscou [3].

Pourtant, l'étau se desserre quelque peu à l'orée des années 80 avec notamment l'arrivée de Gorbatchev au pouvoir. Les réformes entreprises par ce nouveau dirigeant - la Perestroïka et la Glasnost - ainsi que le mauvais état de l'économie russe, incite le CSKA a négocié le départ de ses joueurs vers l'ouest en échange de fortes sommes d'argent. Fetisov, raconte avoir été l'un des premiers joueurs de l'est à être sollicité par des équipes de la Ligue Nationale de Hockey, le championnat le plus relevé en Amérique du Nord, lors d'un déplacement aux Etats-Unis. Malgré une compensation financière plus que généreuse, les dirigeants, Tikhonov en tête, freinent des quatre fers et retardent le départ de Fetisov, arguant qu'ils ont toujours besoin de lui dans l'équipe. Qui plus est, l'obligation qui lui est intimé de reverser presque la totalité de son salaire à la mère patrie n'est pas pour lui plaire (l'état consentait à lui reverser 1000 dollars par mois alors qu'on lui en proposait 500000 par an). Les négociations sont dans l'impasse et les autorités intimident Fetisov qui est obligé à de se mettre en retrait de l'équipe. Pendant ce temps, la liste de joueurs soviétiques qui font défection s'allonge, l'exemple le plus marquant étant celui du jeune espoir Aleksandr Moguilny qui profite des championnats du monde 1989 pour fuir à l'ouest, bientôt imité par son compatriote, Sergueï Federov [3]. Pour arrêter l’hémorragie, les hauts-dignitaires acceptent de lâcher du lest et décident finalement de laisser les hockeyeurs soviétiques (dont Fetisov) partir jouer en Amérique.

Leur arrivée en Amérique du Nord ne se fera pas sans mal, étant lâchés à un monde où ils doivent accomplir de nombreuses choses par eux-mêmes. En outre, ils sont confrontés à l'hostilité du public et et des joueurs nord-américains qui n'acceptent pas que ces rouges prennent la place de leurs compatriotes. Enfin, leur manière de jouer ne s'intègre pas à la stratégie des équipes de Ligue Nationale et l'expérience n'est pas concluante pour de nombreux joueurs qui n'ont d'autre choix que de repartir en URSS. Les autres, après une période d'adaptation plus ou moins longue, poursuivront une carrière brillante. Fetisov, par exemple, associé avec quatre anciens équipiers de l'équipe nationale (les Russian Five) remportera deux fois la Stanley Cup avec les Red Wings de Détroit en 1997 et en 1998 [4]. Cette nouvelle liberté de mouvement a ouvert de nouvelles perspectives à la Ligue Nationale en enrichissant le jeu par l'apport de la culture soviétique. Cet impact est encore bien présent aujourd'hui, avec l'importance de joueurs comme Aleksandr Ovetchkin par exemple qui est devenu l'une des pièces maîtresses des Capitals de Washington. Sans cela, on peut penser que le championnat nord-américain n'aurait jamais pu conserver son niveau de jeu actuel.

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[1] Red Army avait été présenté au Festival de Cannes 2014.
[2] Dans le basket aussi. On se souviendra de la victoire controversée de l'URSS sur les Etats-Unis en 1972 à Munich.
[3] Dès les années 80, plusieurs joueurs du bloc de l'est (on citera par exemple les frères Stastny) avaient fait défection aller jouer en Amérique. Le premier joueur officiellement recruté par la Ligue Nationale fut le vétéran Jaromir Jagr lors du repêchage 1990.
[4] Scotty Bowman, l’entraîneur de Detroit avait vu joueur les Russes ensemble et avait compris avec l'encadrement de l'équipe qu'il fallait les  associer ensemble pour que leur système de jeu traditionnel se remette en place. Les Russian Five feront merveille à Detroit, surclassant par leur maîtrise du palet les équipes adverses.

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